Par Michel Lussault dans Territoires 2040 (2012)

Hyperpolisation

En 2040, la dynamique de l’urbanisation mondiale aura abouti à la constitution d’un seul réseau « hyperpolisé » en France, caractérisé par la « coopétition » entre ses nœuds métropolitains. On définit ici la « coopétition » comme un mélange de compétition et de coopération entre les différents pôles. Ce réseau fera encore peu ou prou sens à l’échelle stato-nationale, ce qui signifie que les politiques d’État conserveront une certaine pertinence au regard des interventions des collectivités locales. Parmi celles-ci, les « métropoles », enfin dotées de véritables systèmes de gouvernance, l’emporteront sur les régions. Elles manifesteront une réelle capacité, sinon de contrôle, du moins d’orientation des grandes évolutions urbaines. Elles engageront une discussion directe avec les autorités européennes, sur les sujets relatifs notamment au développement soutenable et à la croissance économique, mais sans possibilité de court-circuiter les instances étatiques encore opérationnelles.

Régiopolisation

En 2040, on constatera en France une différentialisation territoriale forte (donc un maintien voire une accentuation des polarités) dans le cadre de la constitution de méga-régions polarisées par l’urbanisation métropolisante, appelées régiopoles. Ce mouvement puissant conduira à une recomposition du découpage régional national actuel. L’échelle stato-nationale deviendra une référence plus faible en matière de contrôle territorial (dotée, outre les activités de justice, de défense et de police, de fonction de régulation, d’évaluation et de production de normes législatives compatibles avec les règles européennes et mondiales). On constatera la constitution de quelques régions à dimension européenne (toutes avec des interfaces transfrontalières ou/et des façades maritimes), appuyées sur leur potentiel métropolitain et dotées d’instances fortes de gouvernement. Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg, Lille, Toulouse, Bordeaux, Nancy-Metz-Luxembourg seront les capitales de ces régiopoles. Toutes celles-ci s’appuient sur un réseau urbain métropolisé, centré sur leur capitale. Une réforme fiscale profonde donnera aux métropoles et aux régions de véritables capacités de collecte des ressources nécessaires aux politiques publiques. Ces régions puissantes seront dotées de véritables capacités d’intervention en matière de trans-port, de santé, d’enseignement, y compris supérieur, d’économie et de développement technologique et de gestion durable des territoires et de l’environnement. En cette dernière matière, les régions devront assurer la soutenabilité des modes d’organisation territoriale et assumer une fonction de régulateur de l’usage des ressources environnementales. C’est donc à cette échelle que se traitera politiquement la question de la vulnérabilité des espaces de vie.

Postpolisation

En 2040, l’urbanisation et la mondialisation auront infusé l’intégralité du territoire national et les manifestations s’en feront sentir par-tout, sous la forme d’une périurbanisation généralisée. Il s’agit donc du scénario qui signe la « victoire » de la périphérisation la moins dense sur la centration et la généralisation du principe de la diffusion, conçue à la fois comme un principe d’évolution et une forme urbaine, valable à toutes les échelles en même temps.

Toutefois, la centralité sera maintenue a minima comme système spatial fonctionnel (doté d’une certaine capacité de fixer des images urbaines et des imaginaires sociaux positifs), mais ses géographies évolueront (périphérisation et spécialisation sociale et fonctionnelle des centres). Des effets d’agrégations continueront d’exister, mais seront atténués par les logiques d’étalement accentuées et de différentiation désormais focalisées sur les micro-échelles. Il existera donc encore un gradient de métropolisation (0=>max), la valeur maximale restant méta-stable par rapport à la situation actuelle et la moyenne tendant à diminuer du fait de la diffusion.

Des politiques très ciblées d’affirmation de quelques lieux de centralité principaux ainsi que des effets d’organisation des grands servi-ces collectifs régulés par la puissance publique seront conservés, mais celle-ci contribuera aussi à nourrir la diffusion et à légitimer les logiques de séparation spatiale des groupes sociaux qui se cristallisent notamment dans la géographie du logement, le pavillonnaire restant le modèle dominant, bien que modifié dans ses formes par les exigences environnementales.

Dans l’ensemble, la ségrégation s’accentuera, à mesure que les processus de postpolisation s’affirmeront, qui conduiront à une focalisation des sociétés sur les territoires infra-locaux de résidence et de voisinage. Les quartiers résidentiels des secteurs les plus denses connaîtront souvent un mouvement de dégradation, voire de paupérisation. On notera néanmoins le maintien de quelques secteurs emblématiques : ceux de l’entre-soi de groupes sociaux dominants, ceux de la gentrification qui restent prisés par les catégories moyennes supérieures à forts capitaux culturels.

Dépolisation

En 2040, l’évolution urbaine (évolution démographique, choix des individus, arbitrages des politiques publiques, évolution des systèmes de production, etc.) tendra à affaiblir significativement les effets de la polarisation des territoires au profit d’une organisation spatiale très peu hiérarchisée distribuant les réalités selon un principe généralisé de faible densité. Dans ce cadre, et contrairement au scénario 3, les centralités ne seront plus fonctionnellement importantes, ni référentielles des pratiques sociales, des imaginaires territoriaux et des actions politiques.

On assistera ainsi à de véritables déprises de centralités et de périmètres denses. Il pourra néanmoins toujours exister des effets d’agrégation – parfois répulsifs, comme dans le cas de la concentration en un même espace des groupes sociaux démunis – et subsisteront des commutateurs mobilitaires. Ceux-ci tendront à devenir des hyper-lieux paradoxaux ; paradoxaux dans la mesure où ils drainent individus, données et marchandises, mais qui ne passent là que pour mieux esquiver les autres contraintes quotidiennes de l’agrégation métropolitaine.

Les acteurs sociaux tendront à privilégier les stratégies de décrochage et de rupture avec les espaces et les services collectifs, au profit de nouvelles régulations infra-locales et d’une focalisation sur la cellule domestique, qui dans l’idéal se conçoit comme quasi autosuffisante. Un phénomène qui sera accompagné au départ par des politiques publiques et des acteurs institutionnels qui seront ensuite marginalisés et court-circuités par l’évolution qu’ils avaient contribué à justifier. La dépolisation sera susceptible d’aller de pair avec l’insertion dans des réseaux mondiaux car l’économie permettra d’en jouir et d’y participer sans mettre en avant les appartenances territoriales, mais en privilégiant les liens labiles des réseaux sociaux médiatisés par les instruments communicationnels. Ce mouvement pourra conduire à des attachements identitaires des individus à un réseau et/ou des ressaisissements des espaces communautaires et/ou des replis et des « insularisations ».

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